La Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) est une réalité, une nécessité, partout dans le monde. L'Afrique commence seulement à faire la synthèse entre sa propre culture et les concepts occidentaux. Nous voulons concrétiser notre apport à travers 7 propositions:
1. Donner aux diasporas africaines le rôle de transmettre les pratiques responsables occidentales en Afrique et les pratiques responsables africaines en Occident.
2. Élaborer avec les managers africains et occidentaux travaillant en Afrique des procédures permettant d’adapter les exigences occidentales de RSE aux contextes culturels africains.
3. Définir, avec les consultants, les formateurs et les qualiticiens mettant en œuvre des démarches de RSE en Afrique, une approche interculturelle de la norme ISO 26000.
4. Promouvoir au niveau international, avec les entrepreneurs africains engagés dans une démarche de RSE, les modes d’organisation, de management et de gestion africains de l’entreprise.
5. Fonder l’approche interculturelle de la RSE sur l’expertise de chercheurs africains et occidentaux spécialisés dans le domaine de la RSE et de l’interculturalité en Afrique.
6. Sensibiliser les directions des entreprises internationales implantées en Afrique aux enjeux d’une hybridation nécessaire des pratiques responsables africaines et occidentales.
7. Informer les sociétés civiles africaines des avancées en matière de RSE en Afrique, en mobilisant les médias africains et occidentaux autour des démarches interculturelles et responsables dans le monde de l’entreprise.
"La RSA et les obstacles au
développement en Afrique"
Ce livre nous apprend à bien diriger notre activité. Les auteurs :
Alexandre Wong est chercheur associé en
philosophie (UPR 76 CNRS, groupe THETA), consultant (Les Jardins de
la Cité), docteur en sciences sociales.
Urbain Kiswend-Sida Yameogo est
étudiant-chercheur en cotutelle de thèse UQAM – Université
Paris-Est.
Voici la liste des obstacles à bien saisir pour mieux comprendre la réalité de l'Afrique et créer une stratégie concrète pour avancer dans le développement durable :
=Marginalisation économique
L’Afrique pèse moins de 2 % dans le
commerce mondial. Divers facteurs généraux sont invoqués pour
expliquer la situation de marginalisation dans laquelle elle se
trouve :
– les réformes politiques et
juridiques sont très souvent parcellaires et non coordonnées, ce
qui conduit à une multiplication de cadres institutionnels et de
textes juridiques qui ne trouvent pas à s’appliquer ;
– l’Afrique a une longue tradition
de production et de marchés à petite échelle. Cette
caractéristique s’explique par une faible industrialisation et par
le poids important de l’économie informelle
– beaucoup de pays africains
disposent d’une main-d’œuvre abondante et peu coûteuse.
Cependant, une bonne partie de cette main-d’œuvre n’est pas
qualifiée ou ne dispose pas de compétences en adéquation avec les
besoins du marché;
– l’absence ou la faiblesse des
contraintes érigées par les législations peut constituer plus un
risque qu’une opportunité pour les entreprises nationales et
étrangères ;
– les économies continuent à
dépendre des matières premières agricoles et minières exportées
sans transformation et donc sans valeur ajoutée, sans compter leur
vulnérabilité aux aléas climatiques du fait de la nature des
produits agricoles exportés ;
– les marchés des pays développés
sont difficiles d’accès, en particulier dans le domaine agricole,
en raison des normes sanitaires et techniques en vigueur dans ces
pays ;
– les IDE (Investissements directs
étrangers) étant orientés vers les pays qui disposent de
ressources pétrolières et minières, leur répartition est
inégalitaire ;
– les pays africains ont établi des
liens économiques plus étroits avec leurs anciennes puissances
coloniales respectives qu’avec d’autres pays africains ;
– l’intégration des Africains aux
organisations de réflexion sur la gouvernance mondiale et aux
institutions internationales de recherche académique est faible.
=Illégalité
Les contournements
législatifs, l’exploitation des failles de la réglementation,
notamment en matière fiscale, ou le lobbying favorisant l’apparition
d’exigences légales au rabais constituent des pratiques qui ne
sont pas méconnues dans le milieu des affaires africain. Des
entreprises nationales ou multinationales ont été accusées de
faire et de défaire les pouvoirs locaux ou de piller les ressources locales
en profitant de situations échappant au contrôle des gouvernements.
En octobre 2002, un groupe d’experts des Nations Unies
enquêtant sur l’exploitation illégale des ressources en République
démocratique du Congo a publié un rapport qui dénonce les
activités des sociétés engagées dans le commerce très souvent
illégal des diamants et l’extraction d’autres ressources (1)
=Opacité
Les
réglementations et législations organisent la reddition des comptes financiers
dans le cadre des obligations comptables à la charge des
entreprises vis-à-vis de l’État et de ses propriétaires (les actionnaires).
Cependant, les réglementations sont muettes quant à la reddition
des comptes aux autres parties prenantes de l’entreprise sur ses
performances environnementales et sociales. La faiblesse de l’influence
des parties prenantes laisse à l’entreprise africaine, en dehors de toute
pression externe (de donneurs d’ordres, du groupe ou de la
maison mère), la latitude de s’enfermer dans l’opacité complète
quant aux impacts de ses activités sur la société.
=Corruption
Beaucoup d’États
ont adhéré à la Convention des Nations Unies contre la
corruption et mis en place des structures et mécanismes de surveillance et
de répression de la corruption. Cependant, l’indice de perception
de la corruption de Transparency International montre que beaucoup
d’États africains connaissent la corruption. L’indice de
corruption des pays exportateurs (ICPE) révèle que les multinationales sont souvent à la base des pratiques de corruption
(2)
=Travail des enfants
Les rapports de
plusieurs organisations non gouvernementales témoignent de
trafics et d’utilisation d’enfants dans les plantations de cacao,
de café, de coton, dans l’exploitation minière, etc. (3).
L’Organisation Internationale du travail (OIT) a publié en 2010 une étude
détaillée sur le travail des enfants dans le monde et indique qu’en
Afrique subsaharienne une augmentation du taux d’activité des
enfants a été enregistrée entre 2004 et 2008 (28,4 % en 2008
contre 26,4 % en 2004) (4)
.
=Complicité dans les abus commis
par des tiers et collusion
En vertu du
deuxième principe du Pacte mondial, les entreprises devraient
s’assurer qu’elles ne sont pas complices de violations des droits
humains. La complicité dans les abus commis par des tiers en
Afrique prend plusieurs formes :
– l’implication
directe ou indirecte des partenaires d’affaires,
notamment des
filiales, de la chaîne de sous-traitance ou des fournisseurs, dans
des violations (emploi des enfants, formes de travaux forcés, affaires
de corruption, etc.) ;
– les violations
commises dans le cadre d’opérations de sécurisation et de
protection assurées par des brigades de sécurité privées pouvant agir dans
l’impunité totale ;
-les
opérations dans les zones de conflits ou les liens avec les groupes
armés ou avec les pouvoirs publics auteurs de violations des droits
humains.
=Accès aux médicaments, maladies
pauvres ou orphelines, essais thérapeutiques
Les poursuites
judiciaires engagées par trente-neuf grands groupes pharmaceutiques
contre le gouvernement sud-africain pour le non-respect de droits de
propriété intellectuelle lié à la vente en Afrique
du Sud de médicaments génériques contre le sida (poursuites
abandonnées en avril 2001) révèlent une primauté des enjeux
économiques internationaux sur les enjeux sociétaux dans le domaine
de la santé en Afrique. S’explique en ce sens le manque d’intérêt
des laboratoires de recherche des grands groupes pharmaceutiques pour
des maladies négligées ou orphelines dont le traitement est jugé
peu rentable. De grands groupes
pharmaceutiques ont de surcroît été accusés d’administrer à
certaines populations africaines des essais thérapeutiques.
=Expropriation, exploitation des
ressources naturelles locales, biopiratage
Les zones riches
en ressources naturelles pétrolières et minières sont le lieu
d’expropriations et d’exploitation des ressources locales. Selon
Amnesty International, dix ans après les événements qui ont opposé
en 1995 le peuple Ogoni et Shell Petroleum Development Corporation,
l’exploitation pétrolière dans le delta du Niger continue
d’entraîner des spoliations, des injustices et des violences : les
riverains desinstallations du delta du Niger ne sont pasindemnisés
quand ils sont expulsés des champs d’exploitation ; ils sont même
parfois menacés d’être châtiés quand ils font obstacle à la
production de pétrole ou lorsqu’ils protègent des fauteurs de
troubles (5). Les savoirs des
communautés indigènes notamment en matière médicale, sont aussi
frauduleusement exploités ou brevetés (6).
=Limitation des droits sociaux
Le rapport 2010 de
la CSI (Confédération syndicale internationale) indique : « Les
droits syndicaux fondamentaux sont garantis dans les Constitutions de
nombreux pays africains mais, dans la pratique,
ces dispositions restent souvent lettre morte. Le dialogue social est
souvent limité ou inexistant et les revendications des travailleurs
et de leurs représentants rencontrent fréquemment l’indifférence
ou le rejet des employeurs et des autorités. De plus, même
lorsqu’une convention collective a été conclue, il arrive souvent
qu’elle ne soit pas respectée. Ce problème se pose en particulier
dans des pays comme le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Kenya, le
Liberia, le Nigeria et la Tanzanie. »
=Déforestation, désertification
La déforestation
et la désertification sont le fait aussi bien des usages domestiques
que de l’exploitation industrielle des forêts. Selon le PNUE
(Programme des Nations unies pour l’environnement), l’Afrique
perd sesforêts au taux de 0,8%par an (5 262 000 ha).
=Déchets
Les exportations
en Afrique de déchets industriels présentent un danger dont les
entreprises exportatrices des pays industrialisés et les entreprises
ou autorités publiques des pays importateurs ne tiennent pas
toujours compte (7).
=Mauvaise qualité des produits
La faiblesse des
ressources financières conduit les populations à accorder plus
d’importance au prix qu’à la qualité. L’Afrique est de plus
en plus la destination de produits usagés (ordinateurs récupérés
et réemployés, véhicules de seconde main ou d’occasion à
l’origine d’importantes pollutions).
=Manque de dialogue avec les
communautés locales
La relation avec
les communautés locales est la condition aussi bien de l’acceptation
de l’entreprise et de ses activités que de l’efficacité de sa
contribution au développement de l’environnement social dans
lequel elle opère. Le manque de dialogue parfois observé entre les
entreprises et les communautés locales favorise un climat de
violence (répressions des populations par les autorités publiques,
rapts d’employés, attaques contre les installations pétrolières,
etc.) (8).
La RSE, une notion peu
connue, un débat public émergent en Afrique (9)
=====
1. Rapport
final du groupe d'experts sur l'exploitation illégale des ressources
naturelles et
autres formes de richesse de la République démocratique du Congo,
S/2002/1146.
2. L'ICPE
évalue la propension des entreprises des plus grands pays
exportateurs à verser des pots-de-vin à l'étranger. Selon Huguette
Labelle, présidente
de Transparency
International, « L'ICPE démontre que de nombreuses sociétés
des plus grands
pays exportateurs continuent d’avoir recours aux pots-de-vin
pour remporter
des contrats à l'étranger, en dépit de la reconnaissance de
l'impact destructeur de cette pratique sur la réputation des
entreprises et les communautés locales » (communiqué de presse du
rapport 2008 sur l’ICPE). Dans
le cadre de
l'Union africaine (UA), une commission spéciale de lutte contre la
corruption a
été créée en 2010
3.- Le Travail
des enfants en Afrique : problématique et défis, Banque mondiale,
FINDINGS, 194, novembre 2001 : « Autour de 5 millions d'enfants sont
engagés dans des travaux rémunérés par l'agriculture de rente. La
situation est particulièrement dure pendant les périodes de
récoltes. Au Kenya, 30 % de la main-d'œuvre de récolte du café
sont des enfants, pendant que 25 000 écoliers travaillent à risque
dans les mines et plantations tanzaniennes. Beaucoup de garçons du
Mali, du Burkina Faso, du Niger, du Ghana, du Togo et du Bénin
émigrent pour travailler dans les plantations en Côte d'Ivoire et
au Nigeria, à côté d'enfants réfugiés venant du Liberia et de
Sierra Léone. »
4.-
Accelerating action against child labour. Global Report under the
follow-up to the ILO Declaration on Fundamental Principles and Rights
at Work, International Labour Conference, 99th session 2010, report
I(B).
5.- Au
Nigeria, des accusations ont par exemple été portées contre la
compagnie pétrolière américaine Chevron, jugée complice de la
répression sanglante menée par l'armée nigériane lors de
manifestations sur le terminal pétrolier de la société Chevron
Nigeria d'Escravos le 4 février 2005 (Amnesty international, Nigeria
– Pétrole et droits humains : 10 ans de violations renouvelées,
index AI : AFR 44/020/2005, 3 novembre 2005). Chevron ainsi que
l'agence d'aide au développement des États-Unis USAID ont annoncé
en février 2011 la création d'un fonds de 50 millions de dollars
destiné au développement de la région pétrolifère du Nigeria.
Cet argent est destiné à des programmes visant à favoriser le
développement économique, à renforcer les capacités des
institutions gouvernementales et des organisations de la société
civile, ainsi qu'à réduire la violence dans la région.
6.- Le Nigeria
(l'État de Kano) a par exemple engagé des poursuites contre Pfizer,
accusé d'avoir utilisé secrètement des enfants malades comme
cobayes pendant la pandémie de méningite de 1996.
7. Le
déversement en Côte d'Ivoire en 2006 de 581 tonnes de déchets
toxiques pétrochimiques en provenance d'Europe par le Probo Koala en
est une illustration.
8. La relation
entre Shell Petroleum Development Corporation et les riverains des
installations pétrolières du delta du Niger en est un exemple.
9. Source :
réponses au questionnaire construit par U. K.-S. Yaméogo dans le
cadre de son état des lieux de la RSE en Afrique.
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